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27 octobre 2016 4 27 /10 /octobre /2016 14:00

Ayant eu le plaisir d'interviewer Christophe Barbier pour Artistik Rezo, en voici le contenu et le lien ;

http://www.artistikrezo.com/spectacle/portraits/christophe-barbier-le-theatre-rouge-desir.html

 

Journaliste politique des plus connus, Christophe Barbier est doué aussi depuis longtemps pour le théâtre. Passé par Le Point, Europe 1 et la direction de l’Express, il intervient dans C dans l’air, I Télé, BFM et autres médias où son ton à l’égal de sa célèbre écharpe rouge est toujours coloré, vif et dense. A la fois souriant et passionné, Christophe Barbier a l’art de plonger au fond des sujets avec une légèreté de papillon. Sa mise en scène de « Présents parallèles » de Jacques Attali avec Marianne Basler, Jean Alibert et Xavier Gallais au Théâtre de la Reine Blanche invite à voyager dans un labyrinthe du temps où le nazisme placé en hypothétique gagnant questionne la scène européenne d’aujourd’hui. Côté cour ou côté jardin, tout à la fois espiègle et sérieux, Christophe Barbier nous répond le temps d’un entracte qui charme et captive. 


Votre passion du théâtre remonte à l’adolescence. Avez-vous dû faire un choix entre théâtre et journalisme et vous arrive-t-il encore d’hésiter entre les deux ? 

Non, il n’y a jamais eu de choix. Cela s’est fait très naturellement, à aucun moment ma passion du théâtre n’est entrée en rivalité avec mon envie d’être journaliste politique, cette fonction étant pour moi une manière de commenter l’histoire en train de se faire. Le théâtre s’est tout de suite inscrit comme étant complémentaire. Très tôt j’ai eu le sentiment, confirmé par la suite, que je pouvais faire du théâtre en étant journaliste professionnel alors que faire du journalisme en étant comédien professionnel aurait été beaucoup plus difficile. J’ai trouvé mon bonheur dans le journalisme politique sans renier ma passion pour le théâtre, même si évidemment je l’exerce avec mes moyens qui sont ceux du théâtre amateur avec la compagnie L’archicube, ce qui ne m’a pas empêché de frôler, toucher même, des aventures professionnelles comme j’ai pu le faire avec Muriel Mayette entre autres et aujourd’hui avec la pièce de Jacques Attali.


Comment s’est présentée l’opportunité de monter « Présents parallèles » ?

C’est le fruit finalement d’une longue collaboration. Jacques Attali est chroniqueur à L’Express depuis 1997 et nous avons beaucoup échangé sur notre passion commune pour le théâtre ; je connais ses pièces précédentes et il m’a proposé sa première version de Présents parallèles appelée alors Coups de théâtre que j’ai d’abord jouée chez lui avec ma troupe amateur puis que j’ai présentée aboutie en juin 2015. Grâce à cette proposition scénique, Jacques a pu nouer des contacts et par ricochet le projet est devenu professionnel. Notre démonstration amateur a finalement permis à la pièce de prouver qu’elle tenait le choc et Jacques a repris le texte pour l’adapter, réalisant un travail d’auteur très important au fur et à mesure des lectures.


Qu’est-ce qui vous a particulièrement plu dans cette pièce ?

Tout d’abord l’effet miroir entre l’époque de la seconde guerre mondiale et la nôtre. Au fond, la 
question posée par Jacques est « Est-ce que ça change fondamentalement les choses aujourd’hui d’être ou non dans un système où les Nazis auraient triomphé ? Si nous avions perdu la guerre est-ce que ça serait très différent aujourd’hui ? » C’est une thèse périlleuse, bien que je considère personnellement que c’est véritablement différent mais il est vrai que la pièce peut introduire un doute. Nous avons affaire aujourd’hui à des nationalismes montants, nous percevons à travers la question tragique des réfugiés que nous sommes dans une société bien peu généreuse, cela malgré les leçons de l’histoire et l’expérience terrible de l’occupation par le régime nazi. Présents parallèles permet de s’interroger sur notre capacité de réaction et de résistance. D’ailleurs, avant même que la pièce ne commence, les spectateurs s’installant, nous émettons des chansons de la période de l’occupation allemande et chacun peut voir des croix gammées dans la salle, mais personne ne réagit. Autour de cette thématique du risque de l’habitude ou du consentement des esprits résidait pour moi le premier défi lié à la pièce. Le deuxième défi tient dans l’énigme posée par la pièce elle-même. Nous sommes en effet dans la répétition d’une pièce écrite en 1943 et très vite s’installe un système de poupées gigognes où le spectateur doit essayer de se retrouver dans de multiples espaces-temps. Cela m’intéressait beaucoup de faire la part des choses entre le didactisme nécessaire et l’énigme presque policière tout en ménageant l’effet de mystère que nécessite ce texte. 

dico amour
Pour revenir au premier défi qui vous a intéressé, y voyez-vous une évocation de l’Europe actuelle ?

La pièce est dérangeante parce qu’elle montre que malheureusement on s’habitue à tout, et peut-être nous serions-nous habitués à un nazisme qui se serait installé pour des décennies et qui se serait ramolli un peu au fil du temps comme toutes les dictatures. Par défaitisme, les populations ont parfois le sentiment que le régime qui les opprime est né avant eux et mourra après eux, alors insidieusement un esprit de fatalisme puis parfois de compromission s’installe, voire de glissement vers la collaboration. 

Finalement, les résistants sont peut-être les plus désespérés, des suicidaires quasiment. Ainsi aujourd’hui, ce qui menace le plus l’Europe c’est le fatalisme, c’est l’idée que notre destin ne nous appartient plus. Les Français et beaucoup d’Européens se disent que nous subissons l’histoire et que nos pays sont trop petits pour ne pas être dominés puis entrainés par un mouvement qui nous dépasse. Quand nous, démocrates européens, commençons à nous habituer à cette idée que les populismes peuvent gagner comme en Hongrie, en Pologne ou en France avec Marine Le Pen, nous sommes pris dans un fatalisme dangereux, qui peut conduire à se laisser mourir.


Le théâtre peut-il quelque chose dans ce contexte ?

Bien sûr ! Le théâtre a une vraie fonction, en tant notamment qu’art vivant. Le théâtre a la spécificité d’offrir des moments où l’on se réunit tous, nous, êtres humains, pour assister à une création qui sera unique, à la fois répétée et différente le lendemain. C’est bien sûr insuffisant et cela ne remplace pas les grands moments de communion que permet la vie politique démocratique, mais le théâtre participe de l’éveil des consciences. Aujourd’hui le théâtre est une petite chose en termes de volume, de nombre de personnes touchées, mais tout de même, cette petite flammèche est essentielle et très importante pour résister au fatalisme ambiant.


Y a-t-il un genre de théâtre avec lequel vous avez particulièrement des affinités ?

J’aime tous les styles de théâtre. J’ai écrit le Dictionnaire amoureux du théâtre parce que je suis 
vraiment amoureux du théâtre et de tous les genres de théâtres. Actuellement, je peux prendre autant de plaisir à aller voir Edmond, la pièce de Michalik, qui est un travail de troupe très joyeux sur la vraie-fausse création de Cyrano de Bergerac, qu’à aller voir « Ça ira », le formidable spectacle de Pommerat sur la révolution française. Ce sont deux genres de théâtre radicalement différents dans leurs propos, dans leur esthétique, et je les aime les deux. Terzieff dit « Le théâtre n’est pas ceci ou cela, c’est ceci et cela », je partage entièrement cette approche. 

Le théâtre du rire, du plaisir ou de l’imprécation et du verbe, tout cela fait un même art, donc je ne choisis pas entre les deux. Bien sûr, je constate toutefois qu’aux marges du théâtre il y a toujours deux ennemis vraiment menaçants. L’un est celui des bas instincts qui produit de la veulerie, de la vulgarité, du mauvais humour, qui colonise hélas plusieurs lieux théâtraux. L’autre se situe à l’opposé et consiste en l’élitisme qui propose un théâtre abscons, sans émotion, incompréhensible. D’un côté on rabaisse, de l’autre on exclut, ce sont là les deux périls qui guettent le théâtre. Mais dans le grand corps central du théâtre, il y a de la place pour tous les genres, privé et public bien sûr, du vaudeville à la pièce la plus littéraire qui soit. Il suffit de pas grand-chose pour que le théâtre trop bas de gamme ou excessivement avant-gardiste refluent, je suis plutôt optimiste.


Ne pensez-vous pas cependant que le théâtre se trouve à un moment où il se doit de se renouveler, toujours bousculé par la télévision et le cinéma ? 

Dès ses débuts, le cinéma a poussé le théâtre à se renouveler et à faire preuve d’audace. La grande époque du théâtre français qui commence avec André Antoine est une première réponse au cinéma, emboitée aussitôt par le Cartel constitué de Jouvet, Baty, Pitoëff et Dullin. Ils savaient que s’ils continuaient à entretenir le style déclamatoire, le théâtre allait disparaitre. Ils ont donc tout fait pour que le théâtre reste un art vivant, procurant une émotion immédiate, charnelle, et ne soit pas endommagé par le cinéma. 

Mais il est vrai que le cinéma à trois dimensions, avec effets spéciaux et grand spectacle, a forcément réinterrogé les metteurs en scène de théâtre. Alors à ce moment-là on a vu des metteurs en scène et des scénographes partir dans la démesure jusqu’à produire des mises en scène indépassables comme celles de Matthias Langhoff. Puis le cinéma a encore et encore tellement évolué sur cette voie que le théâtre a bien dû se faire une raison et accepter de ne pas le suivre directement, adoptant une vraie manière de s’affirmer, de résister et de contourner le cinéma en intégrant certaines de ses technologies tel que l’éclairage tout en restant dans un travail proprement théâtral. Ce que fait par exemple Thomas Jolly en la matière est formidable, il arrive à changer la perspective du plateau en utilisant juste quelques projecteurs mobiles, c’est une réponse fantastique à la pression qu’aurait pu être le cinéma, car là le théâtre nous scotche dans notre fauteuil encore plus fortement peut-être que ce pourrait le cinéma en trois D. C’est aussi ce que réussit à faire Iva van Hove avec Les Damnés ou Vu du pont, il crée une émotion extrêmement forte qui défie le cinéma. La spécificité du théâtre est bel et bien de se faire avec du vivant, avec des émotions vivantes, et cela est irremplaçable. Vous rendez-vous compte que du public on peut à tout moment monter sur scène, intervenir, interrompre ou pourquoi pas donner la réplique ? Ce privilège-là, ce péril-là, n’existe pas dans les arts de l’écran. C’est pour cela qu’il est très difficile de transmettre du théâtre à la télévision. 

Le théâtre n’est pas captable, il est vivant et charnel et requiert une présence vivante et charnelle. En cela, il n’est pas concurrençable. A vrai dire, la seule discipline qui pourrait rivaliser avec cet art vivant, c’est la religion. C’est pour cela qu’elle lui a fait la guerre et qu’elle a excommunié les comédiens pendant des siècles. De même, ce n’est pas pour rien que la politique et le théâtre sont nés en même temps en Grèce ; tous deux sont le lieu d’une communion où se posent des enjeux mettant face à face des êtres vivants.


Alors que nous sommes proches d’une période électorale, avez-vous le sentiment qu’un homme politique se doit d’être un peu comédien pour passer la rampe et le journaliste politique fervent que vous êtes a-t-il unprojet théâtral ?

Ma troupe amateur tourne à travers la France et joue une quarantaine de fois par an. Quant à moi, c’est une grande chance que j’ai eue de monter cette pièce de Jacques Attali avec des comédiens d’un si grand talent, et nourri de cette riche expérience je suis prêt pour une nouvelle aventure ! Pour ce qui est du spectacle de la politique, il est vrai qu’il y a une dimension théâtrale dans la politique, parce qu’il y a nécessité de passer par l’incarnation d’un personnage. Bien que ce rapprochement comporte le risque de tomber dans le cabotinage, l’aspect positif est de rappeler le versant quasi-sacré de la politique dans la mesure où c’est notre destin qui se joue là et cet enjeu mérite bien un certain cérémonial. 


Emilie Darlier-Bournat


[Crédit Photo : © DR]

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